Article paru dans le numéro de juillet-août de The Believer
Interview de Thom Yorke par Ross Simonini pour The Believer, numéro de juillet-août 2009
A l’orée du 21ème siècle, quand Radiohead devint le nouvel espoir rougeoyant d’innovation du rock and roll, le groupe entreprit de rénover le morne paysage de l’industrie musicale. Ils bannirent les sponsors commerciaux de leurs concerts ; essayèrent de minimiser la lourde empreinte carbone générée par les tournées traditionnelles ; et, récemment, ils sortirent leur 7ème album, In Rainbows, sans maison de disque, directement sur leur site dans un format numérique, autorisant les acheteurs à payer autant ou aussi peu qu’ils le voulaient bien…
Chacune de ces expérimentations déclenchèrent des furies médiatiques que Thom Yorke, première cible de ce battage et chanteur mythique du groupe, décrivit ainsi : « être les Beatles pendant une semaine. » Yorke est peu coopératif avec la presse, et dans les interviews passées, spécialement pendant la période Ok Computer, il se montrait tout bonnement venimeux : sifflant dès qu’une question ne lui plaisait pas, ignorant les autres, et couvrant l’intervieweur de ses persiflages à la Dylan : « question suivante… », « ça vous regarde pas… », « répondre à des questions de cet acabit est une p… de perte de temps ». Meeting People is Easy, le seul des documentaires que Radiohead a validé, se compose essentiellement d’une enquête sur les relations conflictuelles de la presse et la musique.
Je rencontre Yorke dans le hall à son hôtel, le Château Marmont à Hollywood. Avant l’interview, il a passé la journée à faire du shopping avec Nigel Godrich, le producteur de longue date de Radiohead, et pendant l’interview il s’interrompt pour parler quelques minutes de l’Australie avec le manager de Neil Young, Elliot Roberts. Il porte un pantalon treillis moucheté de blanc. Il s’excuse quatre ou cinq fois parce qu’il souffre du décalage horaire mais répond à toutes les questions avec réflexion et patience, manifestant ce qui semble être une nouvelle acceptation de sa place parmi les stars du rock.
{1. « Vitrine et gentils programmes à la télé »
}
{{The Believer}} : Vous avez parlé précédemment des aspects détestables pour l’environnement des tournées et de la manière dont Radiohead essayait de trouver des options durables pour voyager. Où en êtes-vous de cette idée de faire des tournées qui seraient moins désastreuses pour l’environnement ?
{{Thom Yorke}} : Eh bien, quand nous avons commencé à parler des tournées, je venais juste de lire quelque chose sur celle de David Bowie, Station to Station. Je ne sais pas si tout est vrai, mais en gros il est vraiment allé de gare en gare. Il n’avait pas pris l’avion. Il avait même pris le Transsibérien. Et il a fait pareil à travers tous les Etats-Unis. Du coup la première chose que j’ai dite, en faisant la moue comme ça, c’était « Je ne veux pas aller en avion, je veux aller en train. » Mais en fait c’était complètement impossible. Il n’y avait aucun moyen de le faire. Les infrastructures ont disparu. Je veux dire, c’était pas vraiment possible non plus alors, mais Bowie n’avait pas beaucoup de matériel. Enfin je ne sais pas. Donc toute l’affaire est devenue un super compromis, et quant à l’avion, ce qui était la situation la plus désastreuse…Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai. Le plus grand désastre –on a fait faire une étude- le plus grand désastre c’est le déplacement des gens. Des gens qui viennent en voiture.
{{BLVR}} : C’est clair.
{{TY}} : On a essayé de promouvoir le covoiturage. Je ne sais pas jusqu’à quel point ça a marché. On a aussi essayé de ne jouer que dans des villes, mais ça a ses limites aussi. En tout cas, en dehors du problème de l’avion, à la base ce qui manque ce sont les infrastructures de transport public, et c’est ce qui produit l’impact le plus important dans les tournées. En fait, pour la plupart de ces problèmes, tu tournes en rond pour trouver des solutions et à moins que, disons, Obama ne décide de changer les infrastructures, c’est comme si on avait pissé dans un violon, surtout dans une ville comme Los Angeles. Je veux dire, est-ce que vous savez qu’il y avait ici des foutus tramways ? J’ai découvert ça un jour où je me suis retrouvé en ville. Il y a des foutues lignes de tramway là -bas. Un ami m’a donné un livre là -dessus.
{{BLVR}} : Vous lisez quelque chose de bien en ce moment ?
{{TY}} : Ouais, je suis en train de lire les nouvelles de Bram Stoker. Je viens de finir L’Agent Secret mais ça ne m’a pas trop plu. Je lis très lentement. Et il ne me faut pas quelque chose de trop épais en ce moment. Mais qu’est-ce que j’ai lu d’important récemment ? L’Aleph de Borges. C’est bien. L’histoire tient dans le titre vous voyez [le titre anglais de cette anthologie est Labyrinths]. J’avais essayé de le lire il y a quelques années et ça n’avait pas marché et puis un type dans un pub m’a expliqué et du coup ça m’a vraiment plu. Et puis je lis ce livre sur les transports à L.A.
{{BLVR}} : Je me souviens quand j’ai pris conscience que Qui Veut la Peau de Roger Rabbit était en fait un livre sur la mort du système de circulation à Los Angeles. Cela m’avait sidéré.
{{TY}} : C’est la même chose en Europe. L’industrie automobile s’est mobilisée pour détruire les transports publics. Et les gouvernements occidentaux de tourner en rond en se demandant : « oh non, qu’est-ce qu’on peut faire ? Bla bla bla. » Bon sang, c’est vous qui avez laissé faire ça. Vous l’avez regardé faire. Maintenant trouvez une solution.
{{BLVR}} : Alors sur vos prochaines tournées, vous pensez que vous allez continuer dans le style traditionnel ?
{{TY}} : Pour l’instant, on a fixé une limite. Ou bien on pourrait aussi ne plus le faire du tout.
{{BLVR}} : Cela ne devrait pas être la seule alternative. Est-ce que tous les artistes internationaux devraient arrêter de jouer en live pour réduire les émissions de carbone ?
{{TY}} : Je ne sais pas, parce que, jusqu’à quel point tout cela ne procure pas de l’autosatisfaction ? « Eh, je rends service à tout le monde là ». Ah vraiment ? Sûr de ça ? Ou bien c’est à vous que vous rendez service?
{{BLVR}} : Et dans votre vie quotidienne ? Vous avez changé de mode de vie ?
{{TY}} : Nous avons une maison au bord de la mer depuis 8 ans. J’ai acheté un de ces systèmes qui pompent dans le sol. Comment ça s’appelle ? Je le sais, je le sais, mais le décalage horaire…Géothermie, ouais. La maison est devenue passive d’un point de vue énergétique, contrôlant l’énergie qu’il faut pour le faire. C’est super.
{{BLVR}} : Et ça a été difficile à faire ?
{{TY}} : Eh bien, on avait commencé à vouloir le faire il y a deux ans et là , c’était un cauchemar parce que, toujours la même chose, le gouvernement n’avait pas décidé d’encourager les entreprises à investir dans ce genre de chose. Mais maintenant qu’ils ont décidé de le faire, c’est bien plus facile. Les entreprises savent qu’elles peuvent gagner de l’argent avec ça. Si Obama disait maintenant, « P. je veux que ça se passe comme ça », ça ferait une sacrée différence. Mais ça ne se fera pas si le gouvernement est contre. Hélas, en tant qu’individu, tu apprends assez vite que c’est du gros coup. Cela ne peut se situer qu’au niveau de la loi et des infrastructures. Il faut que ça paraisse juste aux gens. Je suis un peu confus mais j’ai été impliqué dans cette campagne en Grande-Bretagne pour faire voter des lois au Parlement pour obliger à réduire les émissions de carbone.
{{BLVR}} : The Big Ask ?
{{TY}} : Ouais, et tout de suite on a compris que, bon, tout tourne autour des infrastructures. Tout le reste c’est de l’effet de vitrine et des gentils programmes à la télé qui vous donnent bonne conscience. Tout le monde doit le faire parce qu’il le faut. Un de mes amis, un écologiste, explique que c’est comme une stratégie de temps de guerre. C’est exactement la même situation que le rationnement pendant la Seconde Guerre mondiale. Les gens devraient penser comme ça dès maintenant. Le rationnement n’a marché que parce que tout le monde reconnaissait ça comme une règle. C’était comme ça. C’est vraiment de ça dont il s’agit.
{{BLVR}} : Donc vous croyez que le gouvernement doit faire le premier pas ?
{{TY}} : Disons qu’un gouvernement occidental se décide à dire : « maintenant nous devons rationner notre consommation d’énergie ». C’est sûr, cela créera beaucoup de difficultés aux gens. Mais cela va devenir obligatoire.
{{BLVR}} : Diriez-vous que la campagne du Big Ask a réussi ?
{{TY}} : La réussite c’est d’avoir obligé le gouvernement à faire quelque chose qu’il ne voulait absolument pas faire. Mais en fait, cela n’a pas été si réussi que cela parce que, en un sens, ça n’a rien changé du tout.
{II. « L’industrie de la musique était promise à mourir dans sa forme d’alors il y a déjà 20 ans ».}
{{BLVR}} : On dirait que les gens ne vont bientôt plus écouter de la musique dans un format physique encore bien longtemps, maintenant que les CD et les disques sont remplacés par la musique numérique.
{{TY}} : Mais les CD n’ont jamais été un format physique, ils sont numériques aussi.
{{BLVR}} : C’est vrai.
{{TY}} : Mais ouais, on n’a pas tout le concept artistique avec le numérique. Je veux dire, moi j’ai toujours détesté les CD. Moi et Stanley [ Donwood, l’artiste qui fait les pochettes de Radiohead depuis longtemps] on a toujours détesté les CD. Un vrai cauchemar.
{{BLVR}} : Vu comment vous avez sorti In Rainbows, on dirait que le changement vers le numérique ne vous pose pas de question.
{{TY}} : Je suis content de voir le format CD disparaître. Et les disques laser ?
{{BLVR}} : Changeons pour le plus incommode des formats !
{{TY}} : Ouais, OK [rires]. Non, je ne suis pas trop embêté par ça. Je suis bien plus intéressé par le problème du son. A cause de la nature des logiciels de musique eux-mêmes, on a tendance à utiliser des sons synthétiques, des sons amortis –moi aussi j’en utilise- qui sont internes, au cœur de l’ordinateur. Et je pense que cela produit une grande différence dans la production de la musique elle-même. Des fois c’est super mais des fois c’est plutôt faiblard. Cela donne à tout une douceur qui n’est pas très excitante à écouter. Je suis sûr que Modeselektor m’approuverait.
{{BLVR}} : En plus, la faible qualité, basse-fidélité, du MP3 est devenu un standard pour écouter de la musique.
{{TY}} : Ouais, c’est pas terrible. Mais là ce n’est pas mon domaine. Il faut parler de ça à Nigel.
{{BLVR}} : C’est bizarre parce que la disparition de concept artistique sur le CD aurait dû affecter Radiohead plus qu’un autre groupe car votre collaboration avec Stanley Donwood est devenue tellement associée à votre esthétique. Comment travaillez-vous en temps normal avec Donwood ?
{{TY}} : Vous croyez ? Eh bien, pour In Rainbows c’est venu littéralement de lui quand il a renversé une table. Il y avait des bougies sur la table, et on faisait des esquisses pornographiques qui ne marchaient pas très bien pour différentes raisons…C’était des esquisses pornographiques de paysage.
{{BLVR}} : Des esquisses pornographiques de paysage, euh ? C’est comme ça que je les aurais identifiées si je les avais vues ?
{{TY}} : Non, vous auriez dit « c’est un tas de coups de crayon sur une feuille de papier mon pote. »[rires] Donc il était en train de faire ça quand il a renversé toutes ces bougies sur son papier et puis, et bien ça rendait bien, il les a scannées et tout est venu de là .
{{BLVR}} : Est-ce qu’il n’était pas question de photos de la NASA aussi ?
{{TY}} : Je regardais avec mon fils ces reportages sur la navette en direct. Un jour je suis tombé sur la galerie de photos de la NASA qui est vachement impressionnante. Toute ma contribution est là : « Eh, regarde un peu ces photos de la NASA ».
{{BLVR}} : Donc vous allez continuer à avoir une collaboration artistique avec Stanley ? Ce n’est pas la fin de l’art de l’album chez Radiohead tel qu’on le connaît ?
{{TY}} : Non, nous avons en fait un très bon plan, mais je ne peux pas vous dire lequel parce qu’on se le ferait piquer. Mais on a une super idée pour mettre tout ça en forme.
{{BLVR}} : Sous une forme numérique ?
{{TY}} : Physique et numérique. Mais ouais…mais non, je ne peux pas vous dire ce que c’est [rires]. Pardon d’être si confus à propos de tout ça.
{{BLVR}} : A part la qualité physique de la musique, ce mouvement vers le numérique est en train de tuer les labels traditionnels.
{{TY}} : Oui, on assiste à un processus de sélection naturelle en ce moment. L’industrie de la musique était sur le point de mourir dans sa forme d’alors déjà il y a 20 ans. Et puis soudain, alléluia, est apparu le CD qui l’a maintenue encore un peu. Mais c’était déjà mort. Donc vous avez ces infrastructures énormes. Le poids de la presse est énorme également. Vous vous dites, pourquoi ces gens vivent-ils encore ? Eh bien, parce qu’ils ont encore l’espoir de ressortir les fonds de catalogues.
{{BLVR}} : Vous n’avez pas l’air de considérer cette transition comme une perte d’aucune façon ?
{{TY}} : Vous savez que les ventes de vinyl sont en hausse. Ce n’est pas bien grave que les majors et les CD disparaissent.
{{BLVR}} : Moins de production musicale sous forme physique veut dire moins de plastique et de dépense énergétique ?
{{TY}} : Ce n’est pas tout à fait vrai car vous savez les serveurs doivent tourner aussi. Tous les grands fournisseurs d’accès essaient de réduire l’énergie utilisée par les serveurs. C’est un désastre écologique majeur. Les serveurs sont construits comme de petits réservoirs et ils tournent à la même puissance, nuit et jour. Mais on n’utilise pas tout leur potentiel. Et il y a des bâtiments qui en sont remplis. Apparemment cela coûte cher aux fournisseurs et c’est une dépense énergétique énorme.
{{BLVR}} : Et c’est pire que tout ce plastique ?
{{TY}} : Je ne sais pas. Je ne sais pas comment on évalue cela. C’est alors qu’il vous faut payer 20 000 dollars aux experts. Le monde virtuel ne sera pas sûr d’un point de vue environnemental jusqu’à ce qu’ils trouvent une manière de le rationaliser.
{III. « 40 mn de sang et de sueur, c’est pas suffisant »}
{{BLVR}} : Un des aspects de votre méthode de « payer ce que vous voulez » c’était que les gens pouvaient payer jusqu’à 99,99$ n’est-ce pas ?
{{TY}} : Oui.
{{BLVR}} : Pourquoi avez-vous fixé cette limite ? Pourquoi n’étiez-vous pas d’accord que les gens vous paient 100 dollars pour cet album ?
{{TY}} : On n’est pas d’accord en effet : il faut être fou pour faire ça.
{{BLVR}} : Mais il y a des gens qui l’ont fait non ?
{{TY}} : Ouais, ouais. Euh, pourquoi on a fait comme ça ? Honnêtement, ces
réunions étaient très intenses. Je veux dire, on s’est amusés mais on a pris des décisions au fur et à mesure. On a fixé la limite des 99$ parce qu’on ne voulait pas que les gens se vantent en disant « Regardez combien moi j’ai payé ! » Je trouve que 99$ c’était déjà assez nul.
{{BLVR}} : Combien de personnes ont payé le prix plafond ?
{{TY}} : Je ne sais pas. Un paquet. J’ai tous les chiffres quelque part, avec des analyses pays par pays.
{{BLVR}} : Alors vous pouvez voir quelle nationalité est la plus pingre.
{{TY}} : Ouais mais je ne vais pas vous le dire.
BLVR : Les gens disent souvent vouloir payer le moins possible pour acheter un album, on n’entend rarement qu’ils veulent payer autant qu’ils veulent. Si on réfléchit un peu à ça : les gens donnent de l’argent à leur gré aux musiciens, on peut alors penser que les artistes pourraient fonctionner, financièrement au moins, comme des O.N.G.
{{TY}} : Oui mais c’est un peu sans saveur. Pour nous, c’était plutôt une question de foi comme « nous croyons que les gens trouvent que la musique a beaucoup de valeur et nous allons le prouver. » Tout le monde disait : « Oh, c’est la fin du monde, le ciel nous tombe sur la tête », et nous avons voulu trouver une nouvelle façon de faire. Mais cela dépend avec qui vous parlez dans le groupe. Pour moi, le truc de « payer ce que vous voulez » était secondaire par rapport au fait d’être capable de contrôler nous-mêmes la fuite au lieu que ce soit un type de la maison de disque qui le fasse. C’était mon point de départ. Mais nous sommes une drôle d’équipe. Toutes ces idées ont émergé chez un groupe de 15 d’entre nous, assis dans une pièce et disant : « Ouais, ça va marcher. » La plupart pensait que ça ne marcherait jamais. Pas mal de choses sont venues de Chris [Hufford, le manager de RH]. Si ça n’avait pas marché, on aurait pu lui tomber dessus.
{{BLVR}} : Et vous pensez que ça a bien marché ?
{{TY}} : Oh oui. A 2 ou 3 niveaux différents. Le premier c’était de faire comprendre que la musique avait une valeur. Utiliser Internet pour promouvoir le disque sans passer par iTunes ou Google ou n’importe quoi, ça aussi c’était une réussite. On s’appuie sur le fait qu’il y a des gens qui veulent écouter le disque. Tu n’as pas besoin de passer d’abord à la radio et de tout ce merdier qu’est la sortie d’un single. Tu n’as pas besoin de parler à la presse. C’était mon truc ça : je ne vais pas le donner à la presse deux mois avant sa sortie pour qu’ils le dissèquent en petits morceaux et le détruisent aux yeux des gens avant qu’ils aient pu seulement l’écouter. Cela a marché sur ce plan là . Et ça a marché financièrement.
{{BLVR}} : Pourquoi pensez-vous que cette méthode marcherait pour d’autres groupes moins connus que Radiohead ?
{{TY}} : Avec la presse, on est dans une bonne position parce qu’on n’a pas à compter sur l’opinion d’un chroniqueur, alors pourquoi s’arrêter en chemin ? Si les gens veulent l’écouter tout seuls, pourquoi ne pas leur donner à écouter ? Je ne veux pas avoir à lire un avis d’abord.
{{BLVR}} : Ce style de sortie promeut l’album comme une œuvre d’art plutôt que comme un tas de singles qui se promènent sur Internet.
{{TY}} : Oui c’est intéressant. Cela me plaît. Malheureusement, beaucoup de gens ont eu l’album dans le désordre.
{{BLVR}} : Mais qu’est-ce qui reste de l’album comme forme musicale ? Vous pensez que ce format a encore une valeur à l’ère de l’iPod ?
{{TY}} : Je ne m’intéresse pas beaucoup à l’idée d’album en ce moment.
{{BLVR}} : J’ai entendu dire que vous parliez beaucoup de singles et de maxi . C’est vers cela que vous allez ?
{{TY}} : Je file cette blague avec M. Tanaka, un type qui dirige un magazine au Japon. Il me dit toujours : « la prochaine fois un maxi hein ? » Je dis oui et je laisse tomber et il me dit : « Conneries ».[rires] Mais cette fois je pense que ça pourrait marcher. Cela fait partie du plan de sortie physique dont j’ai parlé tout à l’heure. Aucun d’entre nous ne veut retourner dans ce trauma créatif qu’est l’enregistrement d’un album complet. Pas tout de suite. Je veux dire, c’est devenu un tel pensum. Cela a marché avec In Rainbows parce que nous avions une idée précise de ce vers quoi nous allions. Mais on est tous d’accord pour dire que nous ne pouvons pas replonger là -dedans encore. Cela nous tuera. C’est lié aussi à cet ensemble qu’est un groupe, comment on vit et on travaille ensemble. Vous savez, Jonny et moi parlons depuis longtemps de nous poser et d’écrire des chansons pour orchestre, de faire complètement l’orchestration et de les donner comme ça, puis faire une prise live et ça y est, plié. On a toujours voulu le faire, mais on ne l’a jamais fait parce que, je crois que la raison c’est que nous avons toujours pris des chansons qui n’étaient pas faites pour ça au départ, et on essayait de les adapter. Voilà un maxi possible parce qu’avec des trucs comme ça, on peut pas faire un disque complet non ? On veut juste s’y mettre un peu et voir ce que ça donne.
{{BLVR}} :Il y a des idées qui ne sont pas faites pour durer 45mn.
{{TY}} : Ouais. Bien sûr qu’un album reste quelque chose d’important. C’est juste que, pour nous, tout de suite, on a besoin d’y échapper. Mais c’est important de continuer à progresser. La résurrection du CD a presque fait mourir l’album parce que toutes les majors ont dit « 70mn ! Super, remplissons tout ça ! Bla, bla, bla ». Alors on a eu droit à toute cette merde des bonus. Le label a beaucoup fait pression sur nous et sur tout le monde pour mettre des bonus à la fin –vous savez, pour donner quelque chose à vendre en plus. Toute cette merde. Comme si 40mn de sang et de sueur ne suffisaient pas. Mais le problème de fond c’est qu’ils vendaient trop cher les CD, ils le savaient et ils tentaient de justifier le prix en ajoutant des trucs.
{{BLVR}} : A propos de ça, les albums numériques pourraient être de n’importe quelle longueur aujourd’hui. On peut faire ça 5 heures ou faire comme Stockhausen et…
{{TY}} : Quoi ? Avec les hélicoptères ? [allusion au quatuor pour Cordes et Hélicoptères de Stockhausen]
{{BLVR}} : Il a aussi écrit un opéra de 7 jours.
{{TY}} : Nigel voulait faire ce truc où, ça serait horrible, mais…
{{BLVR}} : Mais…
{{TY}} : On s’enferme pendant 3 jours, et à la fin des 3 jours on met 2 morceaux en ligne toutes les semaines et on fait ça pendant 6 semaines. Cela ne se fera jamais mais l’idée c’est de sortir quelque chose même si on ne sait pas bien ce que c’est, voilà , c’est sorti.
{{BLVR}} : Presque comme un procédé d’écriture automatique.
{{TY}} : Pour nous, c’est complètement à l’opposé de ce qu’on pense normalement. Cela pourrait être de la merde. On ne sait pas. On n’a pas eu le temps de le faire encore, ce genre de truc. Mais ce serait une manière de renverser le jeu parce que, fondamentalement, on est des merdes. C’est pour ça que ça prend 3 ans pour découvrir tout ce qu’il y a dessous. Les paroles, je suis sûr, seraient horribles. Jonny est vraiment super pour accroître notre rendement. Il le dit mieux que ça, quelque chose comme « bouter la merde hors de nous ». Il ne peut plus supporter le rythme auquel on travaille. C’est la conséquence de tous nos faux départs.
{IV. « Sonner le glas d’un groupe de rock vieillissant »}
{{BLVR}} : Dans une certaine mesure, la manière dont les singles marchent sur Internet est proche de la manière dont l’industrie du disque marchait dans les années 50, avant que ce soit l’affaire des albums, les singles diffusés à la radio définissaient les artistes.
{{TY}} : C’est vrai, et si vous oubliez le problème de l’argent pour juste une minute, si c’est possible de faire ça- parce qu’on parle du gagne-pain de tous ces gens- et si vous voyez ça comme le plus incroyable des moyens de communication jamais inventé, c’est complètement différent. Dans une certaine mesure, c’est la meilleure approche. Je veux dire, je ne passe pas ma vie à télécharger des MP3 gratuitement parce que je déteste les sites web. Personne n’a l’air de comprendre quoi que soit là -dedans. Je préfèrerais aller sur des sites comme Boomkat, où il y a des gens qui savent de quoi ils parlent.
{{BLVR}} : Boomkat c’est super.
{{TY}} : C’est brillant. Pour moi, c’est un modèle économique. C’est comme quand j’allais chez les disquaires à Oxford. Vous regardez ceci et cela et il y a tout un rayon d’autres trucs qui vous fait signe : « tu vas sûrement aimer ça aussi » et « tu devrais prendre ça. »
{{BLVR}} : J’aime ces magasins où tout est fait main et où les vendeurs écrivent de petites descriptions à propos de la musique.
{{TY}} : Oui et tu peux tout écouter. Je veux dire, Boomkat est très spécifique à cause du type de trucs qu’ils vendent, mais je ne vois pas pourquoi cela ne marcherait pas pour toute la musique.
{{BLVR}} : En fait, je crois que c’est sur un de ces sites publicitaires que j’ai lu l’expression « retour vers la forme » pour In Rainbows et j’ai entendu ça 20 fois depuis.
{{TY}} : [grogne] Avez-vous remarqué qu’ils disent ça à chaque fois ? C’est sonner le glas d’un groupe de rock vieillissant sur le champ.
{{BLVR}} : Bref il semble pas qu’il y ait une forme à laquelle retourner.
{{TY}} : Nous sommes des fumiers informes !
{{BLVR}} : Vous avez l’impression qu’il y a un son particulier que vous avez consolidé durant votre carrière ?
{{TY}} : Putain, j’espère bien que non.
{{BLVR}} : Il y a l’idée que Radiohead est un groupe toujours en transition.
{{TY}} : Nous avons toujours l’impression d’être en train de descendre du chemin. On est en plein dedans. C’est exactement ça. In Rainbows avait une esthétique particulière et je ne peux pas supporter l’idée de refaire ça de nouveau. Je ne peux simplement pas…le…supporter.
{{BLVR}} : Mais est-ce que vous pensez qu’il est vraiment possible pour des artistes de rester statiques, de prendre une idée et de la développer tout au long de sa carrière ?
{{TY}} : Les artistes solos peuvent faire ça.
{{BLVR}} : Oui, ça paraît impossible pour un groupe.
{{TY}} : Absolument, complètement, profondément impossible, au moins dans notre groupe. Je veux dire, parce que chacun veut quelque chose de différent. Chacun apporte des choses différentes. C’est le truc de Jonny. Il essaiera toujours d’apporter des trucs extérieurs là -dedans.
{{BLVR}} : Des choses extérieures ?
{{TY}} : Ouais, allez, on a besoin de fausses notes, il est toujours en train de dire ça, ça y est, on les a.
{{BLVR}} : Alors, quel est le prochain son ?
{{TY}} : En groupe on n’a pas trop été ensemble. J’ai juste travaillé sur des trucs.
{{BLVR}} : Electroniques ?
{{TY}} : Eh bien oui, mon incapacité à jouer des percussions m’oblige à recourir
aux synthé. Les ordinateurs c’est plutôt bien pour faire des arrangements. C’est super. En fait, ce n’est pas si super que ça…mais je travaille, je me force à continuer. C’est comme une branche. J’ai besoin de ne pas arrêter de m’exercer. Sinon ça va mourir, mollement.
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