On vous la trad, c’est parce que c’est vous!
Comme vous semblez avoir du mal à retrouver le chemin de radiohead.fr (il suffit de régénérer votre mot de passe !), on va moudre un peu de grain pour vous rappeler que vous ne pouvez pas passer vos soirées sans nous ! Ah ? Vous êtes en train de concocter une superbe vidéo pour Amnesiac Quartet ? Alors vous êtes pardonnés !
Donc, bien qu’il m’en cuise, je vous traduis les propos les plus informatifs de cette interview faite par Alec Baldwin, mais la trad ne transcrira rien du plaisir éprouvé à écouter cette émission. L’acteur de To Rome with Love sort le grand jeu, changement abrupt de sujet pour coincer son interlocuteur, grand écart entre sujets professionnels et questions intimes, confidences personnelles qui mettent en confiance, du grand art : Thom est piégé et ne peut pas esquiver la passe, peut-être aussi est-il plus en confiance d’être interviewé par un autre artiste que par un journaliste. Mais ne vous privez pas de son rire enfantin, des nuances de ses intonations et de son accent so british qu’il crée à plusieurs reprises des interrogations de la part de Baldwin (qu’est-ce que peut bien vouloir dire « jammy » ?) : écoutez l’interview là
Résumé de ce long entretien :
- Sur les médias : Thom admet ne faire d’interview que lorsque c’est utile, ce qui est « moralement acceptable ».
- Sur la création d’AforPeace : rien de nouveau, Thom insiste sur la présence de Joey, son ami et rassure : ce n’est pas parce qu’il ne veut plus jouer avec les autres, mais il a eu besoin d’un autre processus de création. Se détacher de l’écriture en particulier et se centrer sur la construction des morceaux.
- Sur ses premières expérimentations électroniques : à partir d’OKC, il a appris à utiliser les softwares à leur disposition. Parce que la musique qu’il aimait venait de là, pour brouiller les cartes dans la séparation classique entre production et musiciens.
- Sur la fidélité de Nigel : « on se dispute souvent mais c’est comme un « soundboard » pour moi. » Nigel l’a supporté dès qu’il a commencé à utiliser les ordinateurs, en mettant de l’ordre dans le bazar qu’il créait comme un enfant. Il rappelle sa passion pour Aphex Twin et Warp (Baldwin a du mal à capter le mot prononcé avec l’accent anglais de Thom).
- Sur la longévité de RH : est quoi est dû que vous soyez toujours le même line-up ? « Persévérance. Pas mes qualités de diplomate ».
- Sur la perspective d’arrêter RH : Thom dit qu’il y pense souvent lui, pas trop les autres qui sont habitués à le voir exprimer ses doutes. Là en ce moment, parce qu’ils n’ont rien fait d’utile depuis 3 semaines, ça le reprend dit-il. Mais le ton est humoristique.
- Sur la tournée : trop gigantesque dit Thom. On a essayé de créer une sorte d’intimité grâce aux écrans. Mais l’énergie des foules est énergisante aussi : il cite le concert qu’ils ont donné à Phoenix où, peut-être parce que les gens qui aiment ce genre de musique n’ont pas souvent là-bas l’opportunité de se réunir, ils avaient l’impression que la salle elle-même vibrait. « Pourquoi est-ce qu’on ferait ça, alors que c’est tellement stressant, surtout pour moi, même si j’ai l’air chichiteux de dire ça, ça me met vraiment la tête à l’envers de faire des concerts, ça me demande du temps pour me préparer à ça, si ce n’était pas pour ces moments-là » ?
- Sur la qualité « spirituelle » de la musique de RH : « Ce n’est pas nous, ça vient du public quand la « vibe » est là. »
- Sur ses méthodes pour se préparer avant un concert ? Il fait un peu le poirier, il médite, et reste silencieux complètement, tout seul, et 5 mn avant le concert, ils se réunissent tout excités. Il rappelle qu’il a toujours été impressionné par Michael Stipe qui, lui, y allait comme ça, et se chauffait pendant les premières chansons, jusqu’à temps que ça vienne du public. Thom ne peut pas faire ça : il lui faut être parfaitement vide avant de se lancer.
- Sur ses débuts de guitariste : à ses débuts, à 7 ans, il voulait devenir Brian May et il essayait comme lui de construire sa propre guitare, c’était un peu calamiteux.
- Y avait-il des musiciens dans sa famille ? Non, à part son arrière-grand-mère qui jouait de l’orgue et obligeait toute la famille à rester éveillée, mais il ne l’a vue qu’une fois, quand il était petit.
- Voulait-il faire de la musique alors pour être une rock star ? Non, non, réfute Thom. Il n’y avait aucun appareil de musique chez lui, il n’avait jamais écouté de musique. Sauf la radio dans la voiture de son père, où il a passé des heures. Non, c’était à cause du son de la guitare de Brian May. Pour faire ça.
- La création de Radiohead ? Dès 11 ans, il avait un groupe et trouvait très intéressant de jouer et de faire venir plein de copains pour écouter, et surtout des filles, ça l’intéressait beaucoup. Mais il se disputait sans arrêt avec le batteur et ça n’a pas duré. Mais à 16 ans il a voulu faire un vrai groupe. Il raconte alors une version, (qui n’est pas la seule en vigueur il faut le dire), de la création mythique de Radiohead : il aurait choisi Ed parce qu’il ressemblait à Morrissey et parce qu’il avait des chaussettes à la mode, Colin parce qu’il le connaissait et qu’il était sûr qu’il saurait jouer de la basse même s’il n’en avait jamais joué, Jonny parce que c’était « a mythical musical prodigy » et Phil parce que c’était le seul batteur qu’il connaissait et qu’on pouvait répéter chez lui dans le bas de la rue (Thom cache donc le rôle qu’a joué sans doute Nigel Powell dans leurs premières répétitions). Phil avait déjà eu un groupe à lui et était plus expérimenté : grâce à lui, ils se sont lancés dans des démos, ce qui est la meilleure façon de faire dit-il.
- La question qui tue : « qu’est-ce que vous faites le mieux : jouer de la guitare, être leader d’un groupe, écrire des chansons, produire, chanter ? » Thom refuse d’abord de répondre en esquivant « je ne sais pas ce que je fais. Après coup, je me demande comment j’ai fait ça. On essaie, on essaie, et puis finalement ça se construit on ne sait pas comment, une sorte d’amnésie recouvre tout. Il raconte qu’à l’école, il n’arrivait pas à s’intégrer dans le système scolaire, il remarque d’ailleurs que son fils est comme lui, mais il se réfugiait dans le studio de musique et là il était enfin bien. Deux enseignants (et Baldwin a travaillé son sujet car il se souvient que Thom a déjà parlé de ce prof de musique qui l’a soutenu, Terry James) l’ont encouragé à poursuivre. C’était assez : juste un petit encouragement. Son père voulait qu’il soit publiciste, ce qui le fait bien rire. Alec revient à la charge avec la question initiale et Thom finit par répondre comme il l’attendait : ce qu’il fait le mieux, admet Thom, c’estde chanter. Et c’est là que Baldwin voulait l’emmener…
- Sur sa façon de chanter : Thom raconte qu’il a pris quelques cours de chant, essentiellement pour apprendre à respirer. Sa chanteuse favorite est Björk, et en la regardant chanter, et Neil Young aussi, il a appris: si on chante dans un endroit précis, dans le front, on entend exactement ce qu’on chante de l’extérieur, sans forcer. En essayant aussi d’imiter Michael Stipe bien qu’il n’ait pas du tout la même tessiture : chanter c’est se mettre dans un état particulier, et pour que ça devienne naturel, il faut du temps. Aujourd’hui, il ne chante pas de la même façon, c’est peut-être dû à l’âge mais il faut surtout accepter d’être là où on est. A l’époque d’OKC, il se forçait à quelque chose. Il faut comprendre que vous n’avez pas besoin de prouver quelque chose, de vous dépasser, il faut juste faire advenir ce que vous êtes au moment présent.
- Sur l’écart énorme entre ce qu’il a été et ce qu’il est, est-ce qu’il se sent différent maintenant ? Vous avez envie d’arrêter ? Oui, souvent, pas à cause de la musique mais à cause des tensions de la vie, oui.
- Une nouvelle question-piège : si vous perdiez tout ce que vous êtes au bénéfice d’un monde meilleur, est-ce que vous accepteriez l’échange ? Thom répond très honnêtement, « define better », ça dépend ce que veut dire « meilleur ».
- Sur ses activités de militant : Thom revient sur son engagement avec Greenpeace (Shell vient de se résoudre à arrêter ses tentatives de forage en Arctique) et avec Friends of the Earth. Il a été très fasciné en particulier par le rôle des lobbyistes qui sont plus puissants que l’ensemble d’une population motivée. Mais ça l’a un peu épuisé d’être si près du monde politique.
- Une fois bien lancé sur la politique, Alec lui demande à brûle-pourpoint de parler de ses enfants : Thom résiste mais capitule « I’m lost ». Ses enfants ont 12 et 7 ans. Son fils est un bon batteur, c’est son plaisir, il ne sait pas encore s’il veut faire ça pour toujours. Mais il vient au studio avec son père et « we’re friends ». Thom admet que les enfants l’ont empêché de tourner davantage mais ce n’est pas si mal, tourner n’est pas très sain, surtout mentalement, c’est trop stressant. Tourner ça peut être super mais ça peut être horrible, en particulier quand vous êtes malade et que vous n’arrivez pas à sortir les notes attendues. Mais c’est vrai que c’est énormément gratifiant. C’est difficile de faire en sorte que ça soit vraiment toujours super en studio et en tournée : jouer avec d’autres quand il y a quelque chose qui ne va pas entre nous c’est vraiment difficile, « je suis Balance et j’ai besoin que ça sorte, je ne peux pas laisser ça en l’état ».
- Sur sa vie de « star » ? Thom répond qu’il n’a jamais fréquenté des gens simplement parce qu’ils étaient célèbres, sauf des gens qu’il admire réellement (il révèle qu’il aime beaucoup Ed Norton qu’il fréquente un peu et Flea, même avant qu’ils ne jouent ensemble).
- Est-ce qu’il y a quelque chose dans le mainstream que vous aimez ? Non, rien, répond Thom, le mainstream, c’est le vide.
- Ce qui est étrange quand on sort un album maintenant, c’est le nombre de choses qui sortent. C’est comme jeter un petit caillou dans une cascade, ça y est c’est vite passé. Il y a beaucoup de bonne musique qui est créée, aujourd’hui comme toujours, mais il n’y a plus de place pour écouter. Il raconte comment, vers 2002, Nokia leur avait proposé de produire du « contenu » pour leurs téléphones. Mais c’est bientôt fini prophétise Thom, parce que le nombre de supports que chacun peut avoir n’est pas infini : vous avez votre ipod, alors ça va, vous n’avez pas besoin d’autre chose. Alors que la meilleure expérience, c’est d’entendre pour la première fois quelque chose que vous ne connaissiez pas : « aller dans un magasin de disques quand j’étais gamin pour écouter le dernier album des Smiths et discuter avec le vendeur pendant 20 mn. » La musique est partout, mais ce n’est que du « contenu ».
- Est-ce qu’il jouerait « Creep » si le Sultan du Brunéi lui offrait des millions pour le faire ? Thom répond, très politique, « au sultan du Brunéi, je lui demanderai d’abord pourquoi il possède une maison près de chez moi qu’il n’habite pas. Et pour chanter pour lui, ce serait non. »
- Pourquoi ne plus chanter « Creep » ? « Parce que je ne reconnais pas ma propre voix dans cette chanson ». Il raconte qu’il a entendu Lou Reed dire que lorsqu’il entendait le Velvet Underground, il mettait un certain temps à reconnaître que ce truc, qui sonnait bien, c’était lui. Il a cette impression avec « Creep », ça ne lui appartient plus.
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Alec lui demande ce qui le fera arrêter : « ça s’arrêtera si quelque chose arrive à ma voix mais pour l’instant il y a encore plein de choses que j’écoute, plein de trucs à moitié faits, à faire. Mais c’est bien aussi de faire une pause. De prendre du temps, de ne pas être toujours immergé dans la musique sinon on tourne en rond. » Il trouve que, à moins d’être épuisé, faire de la musique, c’est régénérant et ses amis, sa famille, et lui-même trouvent qu’il est une personne bien plus vivable quand il travaille et continue à créer. Mais il ne faut pas penser que toutes les idées qu’on a sont bonnes, il faut arrêter un peu pour se « réinitialiser ». Etre normal.
– Est-ce que vous avez des frères et sœurs ? Comment vous considèrent-ils maintenant ? Thom parle de son frère, spécialiste de la Russie et ancien leader d’un groupe. Pour ses parents, il ne sait pas, il pense qu’ils sont contents qu’il soit heureux même s’il a eu des conflits avec eux quand il était jeune. Sa mère en particulier ne voulait pas qu’il entre dans une école d’art parce que c’est ce qu’elle avait fait elle-même et qu’elle avait trouvé ça parfaitement inutile. Quand ils viennent parfois à un grand concert, ils restent très cools : « c’était bien. Où est-ce qu’on peut prendre une bière ? » - Sur les autres formes d’art qu’il pratique : Thom parle de sa collaboration avec Stanley Donwood, de leur rêve d’aller passer du temps à Berlin juste pour peindre et faire la fête. Ils font de temps en temps des expéditions dites « tournée de mauvaise peinture ». Thom raconte une anecdote où ils ont été pris pour des fous par une promeneuse alors qu’ils peignaient, très concentrés, des paysages du Dartmoor seulement avec les 3 couleurs qu’ils avaient à leur disposition.
- Est-ce qu’il encourage à son tour des gens qui viennent le voir ? Un peu, surtout des gens qui sont très bons et qui viennent lui dire qu’ils ont été influencés par RH. Il est alors très étonné, surtout par des musiciens de hip hop parce qu’eux-mêmes ont été tellement influencés par le hip hop (cf. Kid A).
- Comment vit-il la célébrité ? « C’est très loin de moi, ça ne prend forme que quand je joue devant les gens. En dehors de ça, je reste éloigné de tout ça et je suis surpris quand quelque chose fait du bruit, comme par exemple la 1ère fois qu’on est apparu dans le Saturday Night Live aux Etats-Unis. Je ne fais pas attention à ça. Avant je fuyais, maintenant non, il n’y a plus d’endroit où se cacher mais ça ne me touche pas. Ce n’est pas que je ne suis pas reconnaissant, mais tout ça, c’est un coup de chance, ça ne doit rien au talent, c’est juste que j’ai été très chanceux. » Là vient un échange linguistique sur le sens de « jammy » en anglais d’Albion : « there’s no skill involved, I’m jammy » (là, ce n’est plus de la modestie, c’est du mensonge Thom Thom).
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