portrait de Thom Yorke
21 juillet 2006
PORTRAIT DE THOM YORKE
Individu Chantant Non Identifié
Génie à la voix d’or adulé mais incompris, Thom Yorke, figure de proue du groupe le plus avant-gardiste du nouveau millénaire, sort aujourd’hui un album solo. L’occasion de s’intéresser à l’itinéraire de cet individu énigmatique.
Thomas Edward Yorke a grandi dans une petite ville du sud-est de l’Angleterre, Wellinborough, à quelques kilomètres d’Oxford. On sait peu de choses sur son enfance, comme sur sa vie en général. En effet, il n’est pas du genre à se confier, et encore moins aux médias, auxquels il reproche de déformer la réalité. Ses jeunes années furent marquées par une paralysie de l’oeil gauche, qui lui valut quelques moqueries et un surnom, "la salamandre". Après des études primaires et secondaires sans heurts, il obtient en 1988 le diplôme qui lui permet d’entrer à l’université d’Exeter, où il étudie l’anglais et l’art. Pour arrondir ses fins de mois, il travaille comme vendeur dans un magasin de vêtements, DJ, ou encore dans un hôpital psychiatrique. Son extrême sensibilité le conduit déjà à intérioriser tout événement, ce qui contribue à façonner sa personnalité si particulière. Mais voilà, Thom Yorke a une passion, qui va rapidement devenir un exutoire : la musique. C’est le guitariste de Queen, Brian May, qui lui aurait donné envie d’être musicien, et il avoue avoir ressenti assez tôt le désir de devenir une "rock star", déclaration surprenante qui va à l’encontre de son attitude indépendante et réservée. Sa première chanson, écrite à l’âge de douze ans, laisse déjà entrevoir le regard à la fois fasciné et pessimiste qu’il porte sur le monde ; sous le titre très imagé de ‘Mushroom Clouds’, elle décrit l’aspect visuel des explosions atomiques.
Révélation
Thom Yorke joue de la guitare dans plusieurs groupes, et commence à chanter un peu par hasard. Il est alors loin de soupçonner l’engouement que suscitera bientôt sa voix. En 1982, il rejoint le groupe pop-rock TNT, qui prend par la suite le nom d’On a Friday, seul jour de la semaine où ses membres pouvaient se retrouver pour répéter. Il continue pendant quelque temps à s’investir dans d’autres projets, mais, en 1992, ses espoirs se concrétisent : son groupe se rebaptise Radiohead et signe chez EMI. Avec un premier single, ‘Creep’, le succès est quasi immédiat pour Thom Yorke, que son immense potentiel créatif impose naturellement comme leader, Ed O’Brien, son ami d’enfance, Jonny Greenwood, dont le frère Colin ne tarde pas à rejoindre le groupe, et Phil Selway. Après un premier album timide, ‘Pablo Honey’, influencé par la vague pop qui inonde alors l’Angleterre, le groupe sort ‘The Bends’ en 1995, et s’impose déjà comme l’une des figures emblématiques de la scène rock internationale. Radiohead explore des pistes vierges en matière de musique, ce qui le propulse loin au dessus de la masse des groupes rock. En 1997, avec ‘OK Computer’, chronique d’un monde où règne le chaos et la domination des machines, le groupe entame un virage significatif et commence à intégrer des sons électro dans ses compositions. Le public est transporté, et Radiohead devient un véritable phénomène, tout en évitant soigneusement l’exposition médiatique. Trois ans de silence suivront ce succès fulgurant, aussi démesuré que déstabilisant. ‘Kid A’ (2000), et ‘Amnesiac’ (2001), marquent une rupture pourtant prévisible et divisent les fans. Résolument électros, leur originalité déroute. En 2003, avec ‘Hail to the Thief’ (‘Sommation au voleur’), Radiohead se réinscrit dans la veine rock, mais surprend par l’engagement politique de ses paroles.
Paradoxal et essentiel
En marge du succès de Radiohead, un véritable mythe se construit autour de Thom Yorke. Secret et talentueux, il est au centre de toutes les curiosités, ce qui le conduit à se renfermer encore davantage. On le dit taciturne, obsédé par le besoin de tout contrôler. Il refuse tout compromis, n’hésite pas à se mettre en rupture avec le monde qu’il entoure, ne se soucie guère de l’image qu’il véhicule et s’obstine à bouder les médias. Ainsi, il a récemment refusé de renouveler le contrat qui liait Radiohead à EMI, méprisant ouvertement l’attitude des maisons de disques et des radios, qu’il accuse de privilégier la rentabilité au détriment de qualité. Pourtant, loin de décourager le public, cette attitude suscite une véritable fascination. La frénésie qui s’empare de lui quand il chante, l’énergie qu’il déploie sur scène et le timbre envoûtant de sa voix nourrissent cette ferveur. Quand à l’entourage professionnel de Thom Yorke, il s’accorde pour reconnaître son rôle moteur. En effet, si l’alchimie qui opère entre ses membres fait de Radiohead un groupe de référence, le succès n’aurait pas été le même sans l’influence de Thom Yorke. Principal compositeur, il écrit les textes, combine les interventions de chacun, et fait office de figure emblématique auprès du public. Son caractère perfectionniste entraîne le groupe toujours plus loin dans la qualité et l’innovation, et sa capacité à pousser ses collaborateurs à donner le meilleur d’eux-mêmes fédère Radiohead. La force de cet investissement personnel vient du fait que la musique est bien plus qu’une distraction pour Thom Yorke : elle est une véritable raison d’exister. Voilà pourquoi il ressent le besoin de s’astreindre à une grande discipline dans le travail.
Simple citoyen ?
Si Thom Yorke est un bourreau de travail, il sait aussi s’accorder des moments de liberté, bouffées d’oxygène essentielles à son équilibre. En dépit des fantasmes qui circulent sur son compte, il semble aussi pouvoir être un homme comme les autres. A 37 ans, sa femme et ses enfants sont sa plus grande priorité. C’est également un citoyen engagé, qui profite de sa notoriété pour s’impliquer dans des causes qui lui semblent justes. Ainsi, il milite pour l’association Friends of Earth, qui prévient des conséquences de l’émission de gaz à effet de serre sur notre environnement. Il se déclare aussi ouvertement hostile à l’intervention américaine – et britannique – en Irak, et dénonce la politique du président Bush. Avec Radiohead, il participe régulièrement à des concerts de soutien pour des causes comme le Tibet, les pays pauvres ou encore les droits de l’Homme. Il a récemment pris part à une campagne de publicité à l’initiative d’OXFAM, organisation spécialisée dans le développement durable, en faveur du commerce équitable. Pour l’occasion, il a accepté de poser couvert de chocolat, dans l’espoir de pousser les pouvoirs publics à agir pour limiter l’enrichissement abusif des multinationales.
100 % Thom Yorke
Après plus de quinze ans de carrière au sein de Radiohead, Thom Yorke se lance aujourd’hui dans une démarche très personnelle, et sort un album réalisé sans les autres membres du groupe. Il entend ainsi concrétiser un désir de s’affranchir radicalement des étiquettes qu’on a voulu lui accoler, afin de proposer une oeuvre en adéquation avec ses goûts et ses aspirations. ‘The Eraser’ est le fruit de plusieurs années de travail, pour lequel Thom Yorke a rassemblé des compositions réalisées à ses heures perdues. Poussé par Nigel Godrich – qui a déjà produit plusieurs opus de Radiohead – il s’est résolu à les finaliser et à les regrouper en un tout cohérent. Il est à l’origine des textes et de la musique de l’album, et a tenu a jouer lui-même les parties instrumentales. Pourtant, ‘The Eraser’ ne marque ni le début d’une carrière solo pour Thom Yorke, ni la fin de Radiohead. Ce n’est d’ailleurs pas le premier projet auquel il participe en marge du groupe. Il a déjà collaboré avec plusieurs artistes, apportant chaque fois une touche personnelle très appréciée. Il a accompagné Björk sur ‘I’ve Seen it All’, pour la bande originale du film ‘Dancer in the Dark’, ainsi que la chanteuse du groupe sud-américain Drugstore sur un pamphlet anti-Pinochet intitulé ‘El Presidente’. Il a également travaillé aux côtés de groupes comme Sparklehorse, avec lequel il a réalisé une magnifique reprise de l’incontournable ‘Wish you Were Here’ de Pink Floyd, et à répondu à la sollicitation des leaders d’U.N.K.L.E, DJ Shadow et James Lavelle, qui lui ont demandé de poser sa voix sur l’hypnotique ‘Rabbit in Your Headlights’. Pour P.J. Harvey, il a accepté le rôle de choriste sur l’album ‘Stories from the City, Stories from the Sea’. Par ailleurs, en 1998, il s’est associé au groupe The Venus in Furs afin d’enregistrer plusieurs titres pour la bande originale du film ‘Velvet Goldmine’, produit par son ami Michael Stipe, chanteur du groupe REM.
Loin de l’image d’extraterrestre caractériel qu’il véhicule dans les médias, Thom Yorke est donc un individu profondément humain. Si sa personnalité tourmentée et son aversion pour le star-system engendrent des réactions parfois violentes, il sait mettre sa notoriété et son talent au service des êtres qui l’entourent. Timide et créatif, son intelligence et sa sensibilité exacerbée suscitent l’engouement mais déconcertent. Reste son génie, évident et indéniable, qui, associé à un perfectionnisme poussé à l’extrême, lui assure le respect de ses pairs et du public.
Emilie Vitel pour Evene.fr – Juillet 2006
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