Radiohead, les deux faces de la déconstruction
Radiohead, les deux faces de la déconstruction
C’était l’événement du festival, tenu – comme il se doit – à guichets fermés, au grand bonheur des trafiquants de sésames qui alpaguaient torse bombé les festivaliers éconduits.
Depuis leurs débuts il y a une décennie, Thom Yorke et ses faire-valoir n’ont cessé de créer l’événement, de renouveler le buzz autour de leur formation, et ce avec un savoir-faire certain. Jamais groupe n’a traversé les modes et les courants avec autant de légèreté et de détachement. Fréquence Rock a assisté pour vous à ce rendez-vous d’importance. Procès verbal contradictoire.
Il y a beaucoup à dire sur Radiohead, groupe inspiré et novateur, volontiers expérimental, voire souvent qualifié de "plus grand groupe du monde": on pourrait gloser sur le style immédiatement reconnaissable du combo, sur le génie de Thom Yorke ou l’attrait du guitariste pour les ondes Martenot, sur les vocations et les épigones que le groupe suscite… reste l’épreuve de la scène. Disons-le tout net, le concert de samedi dernier était une réussite puissante.
La scène de l’Auditorium Stravinski est parée de barreaux de LEDs (Ndlr: diodes électroluminescentes); sur le mur du fond passent des projections embrûmées et divaguantes; le public est attentif, mélange de branchés trentenaires, de gens de la profession et d’adolescents pâmés… On craint le naufrage, le truc qui ne passera pas, la perte de contact entre Thom Yorke, petit prince satellisé au Panthéon des "immenses artistes", et le "ground control" cher à Bowie, la base des auditeurs lambda. Mais il en est tout autrement. Le groupe arrive (presque) à l’heure, les musiciens extrêmement concentrés attaquent directement avec le single "There, There" tiré de leur dernier album Hail to the Thief, suivi de "Wolf at the Door" issu du même disque. La sauce prend tout de suite, la sono est presque parfaite, les jeux de lumière idoines ne sombrent heureusement pas dans le lightshow metal-FM, mais restent subtils. La première claque arrive cependant avec une reprise musclée du "National Anthem" (in Kid A), où la ligne de basse est saturée de sons électriques qui en font un pur moment de rock hypnotique, relevé par les gesticulations torturées d’un Thom Yorke en pleine crise de syndrome de Tourette, qui confirme là qu’il ne craint pas le ridicule et qu’il se sent profondément désintéressé par les poses étudiées des rock-stars habituelles.
Le groupe égrène ensuite de nombreux succès, d’ "Idioteque", ballade minimaliste transformée en morceau de techno gonflé de samples divers, à "Paranoid Android", lequel semble déjà être un classique… La visite de planètes nouvellement explorées en compagnie du petit prince Yorke s’enrichit donc d’un véritable retour dans le temps, aux sources rock du groupe, puisque celui-ci finira (après deux rappels quand-même!) sur deux morceaux de The Bends" (ah! le sublime "Street Spirit (Fade out)").
Les adieux se font ensuite, chaleureux et souriants, entre un groupe heureux et un public désormais tout acquis à la cause Radiohead. La démonstration évidente du professionalisme des musiciens, leur totale dévotion à la musique, la voix sublime et parfaitement entretenue du chanteur ont forcé le respect samedi soir… Radiohead est un grand groupe, et Thom Yorke et sa clique iront certainement se piquer aux épines de nouvelles roses, avant que de les apprivoiser…
Nic
Vingt-quatre vu-mètres géants et une toile anthracite. Le décor est spartiate, glacial même. Contraste frappant d’avec la chaleur boisée qui émane malgré elle des nobles matériaux de l’Auditorium. Peu après vingt-et-une heures, le groupe apparaît enfin sur scène devant un public mélangé de fans irréductibles, de bobos et d’observateurs neutres du phénomène. Fidèle à son habitude, le maître de cérémonie Thom parle peu, égrenant çà et là quelques gentillesses bilingues qui feront rougir de plaisir certains…
Ouvert par une superbe "There There" qui illustre l’énorme force de frappe de l’une des seules pop songs du dernier album, le récital s’annonce sous les meilleurs auspices avec un chanteur en belle forme vocale. Métronomique et puissant, le jeu de baguettes de Phil Selway, véritable Kojak frappeur, mérite ample mention, tant la dynamique du groupe repose sur ses rythmes syncopés et autres cassures de tempi. Les yeux mi-clos, la frimousse peu expressive, Thom la musaraigne voit son visage parfois illuminé de ses petites billes foncées que l’on devine espiègles. L’homme aurait à coup sûr constitué un sujet de choix pour les savoureux portraits de Maupassant, mais son apathie bonhomme irrite parfois.
Livrés d’un seul tenant, le concert et ses deux rappels syndicaux laissent un petit goût aigre-doux en bouche pour les fans des heures précoces du groupe anglais (exit "Karma Police", faible place accordée aux compositions de "The Bends", tonalité très électronique et industrielle de l’ensemble, magma sonore parfois déroutant et monolithique) qui auraient peut-être apprécié une prestation plus nuancée et moins basée sur les derniers opus.
Revisitant – certes avec classe et feeling – les clichés rock dont on sait qu’ils sont abhorrés par Thom, Radiohead est en fuite. L’évolution du combo depuis The Bends, leur second album, ne cesse d’illustrer une tendance grandissante à fuir la mélodie… La déconstruction savante de Radiohead masquerait-elle aussi un certain vide émotionnel? La question sera balayée par les irréductibles qui n’y verront que railleries, quolibets et propos gouailleurs, mais, pour les autres, celle-ci mérite tout de même d’être posée après une prestation techniquement irréprochable mais décevante sur le plan de l’émotion…
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