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Radiohead, The King Of Limbs, tout ça pour ça ?

18/02/2011 | 16H17

(NDLR : pour rappel, l’album “The King Of Limbs” a été proposé au téléchargement vers 14h, aussi cette critique est-elle à chaud)

Le nouvel album des Anglais restera peut-être moins dans les mémoires que le buzz qu’il a produit : première opinion à brûle-pourpoint.

C’est le problème du buzz : trop intense, il finit par couvrir le reste. Et celui que Radiohead a réveillé depuis lundi a la puissance sonore d’une cohorte de bourdons furax : puisque, par sa méthode autant que par ses prises de position passées, le groupe verse en permanence dans la politique, difficile de ne pas parler du discours avant de parler du disque.

Quelle gueule elle a, alors, la nouvelle révolution des boys d’Oxford ? Elle a une gueule ambivalente. Elle est à tiroirs. Elle a des apparences et des réalités, des évidences et des ramifications. Elle est douce et positive, elle est violente et dévastatrice. Elle a deux écoles, elle plait légitimement à beaucoup, elle déplait légitimement à certains : au sein même de cette rédaction, les deux avis cohabitent, s’affrontent voire se mêlent.

Comme lors de la sortie d’In Rainbows, on peut se réjouir des méthodes et de la radicalité des Anglais. Qu’un album coupe absolument tous les circuits traditionnels de promotion et de communication pour se retrouver sur les iPod du monde entier quelques jours après son annonce permet de redonner un peu de l’excitation naïve d’avant les leaks et d’avant BitTorrent, quand on se pressait comme des gamins chez son disquaire pour enfin saisir entre ses mains tremblantes, le jour J et pas le jour  J+1, l’objet des espoirs. L’indépendance forcenée de Radiohead et d’autres leur permette d’éviter qu’une major, que des organes de promotion, que des instances de promotion, que Carrefour, la FNAC ou Gibert Musique s’engraissent sur le dos des artistes. Une nouvelle ère s’ouvre pour les groupes, qui s’auto-financeront, publieront eux-mêmes leurs disques, feront eux-mêmes leur promotion, seront en contact direct et permanent avec leur public –la démocratie directe et pure en musique.

On peut, tout aussi légitimement, en avoir un peu ras le bidule de l’attitude et des méthodes du groupe. Penser que l’indépendance radicale des Anglais commence à légèrement sentir la mégalomanie psychopathologique. Que le bras d’honneur entamé avec In Rainbows, affirmé avec la sortie précipitée de The King of Limbs, a quelques relents populistes. Le discours et la posture du groupe porte en germe ce que l’on peut détester chez un Mélenchon, par exemple ; “Qu’ils s’en aillent tous”, ces médiateurs entre ma personne et ma paroisse, au sens presque littéral du terme d’ailleurs, ces labels vampiriques, ces capteurs d’héritage, ces critiques qui ne servent plus à rien quand tous les avis se valent. On rappellera la lecture éclairante d’Arendt, on rappellera que cette destruction généralisée, volontaire et programmée des corps intermédiaires peut tendre, philosophiquement, vers le totalitarisme.

On peut se foutre, gentiment, d’un groupe qui conchie paradoxalement le système qui lui a permis, finalement et justement, de s’en passer –sans le travail d’EMI, sans le soutien des médias, pendant des années, où en serait Radiohead aujourd’hui ? On peut s’inquiéter, ils le font eux-mêmes, pour les distributeurs indépendants, les petits magasins de disques (il en reste) : ils vendront certes du King of Limbs en CD, peut-être à la tonne, mais ils perdent une partie de la manne, notamment auprès des fans pour qui le coffret à 36€ sera la nouvelle bible. On peut trouver tous les défauts du monde aux labels et majors, ces grands méchants loups au bon dos de moutons noirs, mais on peut aussi leur trouver une certaine utilité –des emplois, des petits cÅ“urs qui battent, du développement, du défrichage, du soutien, de la production, tout ça. On peut également se souvenir que Radiohead n’est pas le seul à faire du Radiohead, mais que n’est pas Radiohead qui veut –combien de miséreux parmi ceux, désormais nombreux, qui distribuent leur musique sans intermédiaire, par le biais de Bandcamp notamment ?

Même chose pour nous, médias et journalistes. Quelques évidences. Nous avons, industriellement, besoin de Radiohead. Tout comme Radiohead a besoin de nous : pas de phénomène sans relais, pas d’audience sans phénomène. On rabâche du Radiohead depuis lundi ? C’est ce que vous voulez, c’est donc ce dont nous avons besoin –et ça tombe bien, c’est aussi notre métier. Une chronique du disque, presque aussi vite qu’il est mis à la disposition du monde entier ? Nous le devons, vous le voulez, aussi. Pas simple, mais impératif : au même point que tous, on doit juger en quelques heures d’un disque qui prendra peut-être une forme très différente, en positif ou négatif, dans les prochains jours ou semaines.

On y vient, donc, enfin. The King of Limbs ? Huit titres, a priori produits par Nigel Godrich, plutôt court. Première écoute ? Une majorité de morceaux plutôt réussi ; l’ouverture Bloom, ses rythmiques branlantes et textures délavées, la belle et changeante Morning Mr Magpie, les plus radioheadiquement classiques Little by Little ou Lotus Flower, la majestueuse clôture Separator. Un équilibre entre expérimentations sans douleur et beautés pour tous, spécialité du groupe, peut-être un peu plus finement trouvé que sur In Rainbows. Mais, au final, un goût étrange. Ou plutôt pas de goût : c’est fade, vaguement fade. Pas raté, pas génial pour autant. Pas de surprise, l’excitation en berne, les hormones au repos. Première écoute ? Rien d’inoubliable pour qui n’est pas l’une des ouailles les plus bigotes de Radiohead ou qui avait déjà senti, dans In Rainbows, les premiers surplaces des Anglais -rien d’inoubliable, du moins, pour celui qui écrit ces lignes. Première écoute, et une réaction : “tout ça pour ça ?”.

Avant d’y revenir, plus posément, à vous de répondre, désormais.

 

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Amatrice du groupe, surtout en concert. Travaille sur ce site depuis 10 ans.

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