Rolling Stone 4: Où Colin fait visiter Oxford et Ed nous tire des larmes
Suite et fin de l’article paru dans l’édition américaine de Rolling Stone du mois d’avril : pendant que les paparazzis mexicains ont sorti leurs armes – et on sait enfin ce que mange Thom Yorke au déjeuner !- vous pouvez lire quelques touchantes révélations des membres du groupe. Mais on le savait bien, Ed est un grand sentimental !
Une fraîche soirée d’été à Oxford, Colin marche d’un bon pas dans le vieux centre-ville, faisant remarquer les sites historiques en chemin. Il montre une porte étroite conduisant au Modern Art Oxford, une galerie bien connue. Quand ils ne jouaient pas ensemble à l’école, les jeunes membres de RH se tenaient dans le café qui se trouve au rez de chaussée, « parlant pendant des heures, chacun devant une seule tasse de café qui durait 5 heures » dit Colin. Au coin, il indique un magasin, qui fait partie de Cult, une chaîne de vêtements, et souligne avec un sourire amusé que Yorke travaillait dans une autre succursale locale de ce magasin. C’est une image improbable : Yorke, un bloc d’énergie compacte et d’ironie mordante, faisant affaire en vendant des jeans.
Passant devant une cabine téléphonique, Colin se souvient des premières tentatives, maladroites, de RH pour faire un disque avant leur contrat avec EMI : « Il n’y avait pas d’e-mail ou de portables », dit le bassiste. On avait trouvé une cabine, on a mis des pièces et on a appelé un studio. » Une fois, ils avaient demandé combien coûtait une session d’enregistrement, « le gars a dit, 900 livres. On a dit « merci » et on a raccroché. » Finalement, RH enregistra la majeure partie de leur premier album, PH en 1993, dans un studio co-géré par un producteur qui avait travaillé avec une version blues de Fleetwood Mac dans les années 60. Ensuite il y a le Bear Inn, un véritable ancien pub (depuis 1242), avec des plafonds bas dangereux. Colin, qui est né à Oxford, et Yorke- né dans une petite ville des East Midlands, Wellingborough, et élevé pendant un temps en Ecosse- se sont rencontrés quand ils étaient enfants. Ils prenaient tous les deux des leçons de guitare classique à l’école d’Abingdon, en -dehors d’Oxford. Au Bear Inn, ils parvenaient à se faire servir des verres bien qu’ils n’aient pas l’âge et parlaient des modèles qu’ils prendraient pour faire leur propre groupe : New Order, Talking Heads et le préféré de Yorke, R.E.M.
En buvant une pinte de bière sur une petite table devant le Bear, Colin se souvient avec émotion « l’excitation du bruit » lors des premiers concerts de RH, « quand tu joues dans un pub, après avoir emprunté à un mec plus vieux sa basse Fender et que tu avales 4 canettes d’affilée pour te donner du courage. On a fait ça pour notre tout premier concert. Cela a duré 20 mn. » Il montre dans le bas de la rue derrière le Bear, le Jericho Tavern. RH firent leur premier concert là en 1986 sous le nom de On a Friday, d’après leur jour habituel de répétition, alors que tous les membres du groupe fréquentaient l’école d’Abingdon. Selway, le plus vieux, avait 19 ans ; et Jonny n’avait pas 15 ans.
Plus tard, devant un restaurant de la banlieue résidentielle d’Oxford, Colin indique un autre temple de RH : la maison qui fait le coin de Magdalen Road et de Ridgefield Road et que Colin, Selway et O’Brien louèrent dans l’été 1991. Le groupe stockait son équipement là , et tous les 5 y ont vécu, selon des combinaisons variées, pendant un an. « C’était le bon temps, dit Colin en soupirant, bien que Jonny n’ait jamais fait la vaisselle. » Selway caractérise cette période comme « un bon entraînement pour les bus de tournée. Il y avait des piles de boîtes de pizzas dans un coin. Cela devenait insupportable jusqu’à ce que quelqu’un se décide à faire le ménage. Je suis venu et je suis reparti pendant presque toute l’année. Je crois que je me souviens de Colin emménageant dans ma chambre juste après que je l’ai décorée à mon goût. » Yorke est arrivé après son diplôme à Exeter. « On s’attendait à ce qu’au retour d’un concert, en écoutant le répondeur, il y ait des messages de 10 maisons de disques. »
La maison de Ridgefield fut la fin de l’adolescence de RH, le moment où ils devinrent un groupe à temps plein obsédé par leur travail et leur évolution. Jonny décrit un Noël, quand il était encore au lycée et les autres à l’Université : « on répétait tous les jours dans une salle en ville, même la veille de Noël. C’était fou. Il n’y avait pas de concept. On travaillait sur des chansons pour une raison future nébuleuse qu’on ne savait pas nommer vraiment. » « Voilà le genre de moments intenses qu’on a vécus ensemble, dit-il. Cela a toujours été comme ça. Notre gang, c’était surtout jouer des instruments, des chansons dont on parlait. » « Je pense que c’est alors qu’on a écrit « Creep » ajoute Yorke à propos de ce Noël-là . « Il y a des périodes où on se sent plein d’énergie. Tu ne peux pas te forcer. Mais quand on travaille, quand ça arrive et que c’est bon, tout ça réapparaît. »
L’aversion pour les tournées de Yorke apparut aussi rapidement. De même que son dégoût pour les démonstrations demandées à un groupe appartenant à une major. Edge rappelle « un fameux concert à Las Vegas » où « nous avons fait tout un déplacement ridicule parce que le gars qui s’occupait de la promotion aux Etats-Unis ne connaissait rien à la géographie. On faisait une émission de radio, avant Tears for Fears, et tout le monde était grincheux. » Pendant le spectacle, « dans un accès d’énervement », Yorke a tapé dans toutes les lumières de la scène. Edge soutient que « l’idée qu’il fasse quelque chose comme ça maintenant est impossible depuis longtemps. » Mais Yorke juge sans indulgence cette version de lui pas si lointaine, particulièrement l’anti-star tourmentée qu’on voit dans Meeting People is Easy, le documentaire de 1999 fait pendant la tournée d’OKC. « Je m’ennuyais, dit-il simplement, à Miami dans les coulisses, à propos de son image agoraphobe dans ce film. « J’aimais ce disque. Mais l’idée d’être prisonnier de ces chansons pendant un an et demi, dans la même forme, sans changement, sans rien – je me battais contre ça. On finissait une chanson, et je restais là , comme glacé. Je comprends aujourd’hui pourquoi on devait faire tous ces concerts, confesse Yorke. Si on ne l’avait pas fait, on ne serait pas là aujourd’hui. Mais ça m’énervait. On a traversé des phases différentes, celle-là était mauvaise. » « Ce qui est différent pour nous, renchérit Jonny, c’est que depuis le début, notre obsession ce sont les chansons. On tourne comme de surcroît. »
« On n’était pas un groupe de copains à Ridgefield Road, fait observer Ed, plutôt un groupe de conspirateurs. On avait ce but en commun. C’était tout ce qui comptait, notre rêve commun. Tout ce qu’on a atteint aujourd’hui, on n’a jamais douté que ça arriverait. Et c’est arrivé parce que le monde réel nous a rejoints. Mais je voudrais ajouter ça : ce sont mes frères. Certains d’entre eux ne se rendent pas compte de ça. Mais on ira à l’enterrement les uns des autres. On a traversé tout ça ensemble. On est une famille. » « C’est une force qu’on ne s’avoue pas vraiment à nous-mêmes. » dit Colin, « on est trop anglais pour ça. »
« Il y a un côté physique que je trouve intéressant, c’est la respiration », dit Yorke. Il essaie de faire comprendre où il va mentalement et ce qu’il ressent quand il chante. « C’est un état de méditation, c’est comme d’être dans une station de métro quand le train passe. Les choses vous traversent, les trains, les gens. Cela m’a pris quelques années à apprendre comment m’y prendre, dit-il à propos de chanter en public, pendant une interview à l’heure du petit-déjeuner à Londres en juillet dernier. « En voyant des gens comme Michael Stipe et Jeff Buckley, j’ai compris que c’était bien d’aller là . On peut fermer les yeux. »
Plus tard ce jour-là , RH se mirent d’accord avec Edge et Hufford de discuter d’une prochaine tournée de 2012. Ensuite, EOB a décrit la réunion comme « tendue ». Déjà Yorke avait l’air mal à l’aise en mangeant son omelette du matin : « le nombre d’équipement m’effraie parfois. Tu sors de scène et il y a des gens et du matériel partout. On n’a jamais voulu être si grand, dit-il. Je ne veux pas être aimé pour ça. Vous pouvez dire que c’est égoïste. Vous pouvez aussi dire que je suis quelqu’un qui rejette ce qu’ils essaient de vous faire : vous foutre en l’air. » Yorke articule cette dernière phrase avec délectation. « Parce que ce qui est important, continue-t-il, c’est de jeter le filet, créer du chaos, et croire que quelque chose va venir de ça, sans paniquer, seulement continuer avec une foi aveugle et toute cette agitation autour… Cette idée : où sera le groupe dans 5 ans ? On s’en fout. Je suis juste à la recherche de petits diamants dans la poussière. » « Thom est le plus fin détecteur d’embrouilles du groupe » dit OB, avec admiration, à Miami. « C’est cet équilibre – une vie intensément critique, avec une grande capacité à ressentir les choses, une grande intuition. On ne prend pas forcément les décisions d’affaires les plus judicieuses. Mais on suit notre intuition. C’est ça l’art. »
« Ce que j’aime le plus, c’est de continuer à travailler, confirme Thom, juste avant la dernière répétition. Puis il change de sujet : « j’étais en train de penser pendant que j’étais en vacances récemment, que je faisais ça depuis plus de la moitié de ma vie. » Il marque une pause. « C’est dingue ! » s’exclame Yorke dans un éclat de rire. « Et c’est cool. C’est un travail, un bon travail. Bon, on doit aller sur scène maintenant et voir où on en est » déclare-t-il, prêt à jouer. « C’est une grande scène, et il y aura beaucoup de monde. » Il rit encore. « Mais on m’a dit que ça se passerait bien. »
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